Le cinéma francophone est à l’honneur à Namur et les amoureux du cinéma viennent partager des films de divers horizons et cultures dont «Ashkal» de Youssef Chebbi, en lice dans la section 1ère œuvre. Appréciation.
Premier long-métrage de fiction de Youssef Chebbi, après deux courts-métrages («Vers le Nord» et «Profondeur» ) et la coréalisation d’un long-métrage documentaire «Babylon», «Ashkal» s’ouvre sur des plans d’un immeuble inachevé situé dans les jardins de Carthage. Ce projet immobilier a vu le jour du temps de l’ancien régime. Interrompu après la révolution, le chantier a repris peu a peu après toute une décennie. Dans ce décor vide et fantomatique, où tout respire le béton, le corps calciné d’un gardien est découvert. Batal (Mohamed Houcine Griâa), la cinquantaine, n’a rien d’un héros, contrairement à son prénom ou surnom, c’est plutôt un policier corrompu qui applique à la lettre les instructions (Tâalimet).
Il mène l’enquête avec sa nièce Fatma (Fatma Oussaifi), jeune recrue, la trentaine, fébrile et déterminée à résoudre cette affaire brûlante, d’autant que les caciques corrompus de l’ancien système policier, pressés de clore cette affaire, font tout pour la marginaliser surtout que son père préside la commission de vérité et de la dignité qui lutte contre la corruption d’anciens responsables de la police et la violation des droits humains.
Mais l’enquête n’est pas près d’être close, car les immolations par le feu se suivent et se ressemblent, en adoptant le même rituel. Les victimes n’ont aucun lien entre elles, le seul lien est cet homme mystérieux «sans visage» qui transmet la flamme et le feu.
Dans «Ashkal», coscénarisé par Francois Michel Allegrini, le feu s’oppose au béton, un élément central filmé inlassablement parfois avec excès, sous toutes les formes, d’où le titre du film.
Des formes et des motifs multiples, architecturaux, géométriques, labyrinthiques, récurrents sont captés sous tous les angles et dans différentes valeurs de plans, du plus rapproché au plus large et à travers plusieurs nuances d’éclairages plus proches de la pénombre que de la lumière. Une atmosphère brumeuse créée par le directeur photo, Hazem Berrabah.
Ce béton froid et figé est confronté, dans un contraste total, aux flammes dansantes du feu. Cet élément omniprésent et récurrent (corps qui brûlent dans le chantier, des vidéos représentant des torches humaines) finit par envahir l’écran dans une représentation symbolique d’un feu sacré régénérateur, voire «salvateur» et purificateur. A l’image de l’homme mystérieux aux immolations répétitives mais qui finit, tel un phénix, par renaître de ses cendres.
Tous ces corps brûlés, calcinés, en cendres, nous renvoient directement à l’image de Bouazizi qui, par son geste protestataire et sacrificiel, a allumé les premières étincelles de la révolution en Tunisie et ailleurs dans le monde arabe. Mais, dans «Ashkal», les immolations se déroulent dans un lieu (chantier) désert et non dans l’espace public où la mise en spectacle du désespoir et du sacrifice rend la société coupable et responsable de ces actes douloureux et choquants.
Plus, dans «Ashkal», les victimes s’immolent sans utiliser de produits inflammables (essence, alcool, etc.) et sans se débattre afin d’exprimer la douleur. Dès lors, le film bascule du réel à l‘irréel et du genre thriller au genre surnaturel, ce qui n’est pas sans rappeler «Cure», le film inspirant et d’une grande beauté de Kiyoshi Kurosawa.
Quand le film vire de cette manière inattendue et déroutante à l’étrange on comprend que cette affaire d’auto-immolation n’est pas près d’être résolue à l’instar des nombreux dossiers de tout ordre politique, financier, judiciaire, économique et autres affaires de corruptions et de répression qui n’ont pas été traités et résolus.
Le réalisateur a ainsi tissé et traité son sujet à travers le langage cinématographique et des partis pris esthétiques mais, à un certain moment, il fléchit en surchargeant son récit de scènes qui l’écartent de ces choix (scènes de la commission de la vérité et de la dignité et de la visite à la salle des fêtes).
Autre surcharge et surlignage : la musique au son métallique et grinçant, composée par Thomas Kuratli, surligne jusqu’à la redondance la tension dramatique.
Côté jeu, les acteurs ont également péché par certains excès et maladresses dans l’expression et la gestuelle, notamment Nabil Trabelsi (Bouhlel) et même Bahri Rahhali (Jilani).